Je me souviens….

(En Jeu, Mensuel de l’UFOLEP et de l’USEP – octobre 2004)

 

    Je me souviens de certaines pages de Pierre de Coubertin s’inquiétant dès 1900 de « la déchéance de nos sports modernes menacés à leur tour par des éléments corrupteurs ». Et ajoutant : « A quoi bon le nier, ces éléments ont déjà commencé leur besogne néfaste ». Cent ans plus tard, rien n’a changé. Ou plutôt tout a changé dans le sport, sauf sa logique interne et l’inévitable travail des funestes éléments… 

   Je me souviens d’avoir feuilleté un livre de la Petite (et si grande) Collection Maspero, « Sport, Culture et Répression », et d’avoir vite compris que le sport n’est pas un jeu neutre et innocent. Qui veut analyser la société dans toutes ses dimensions ne doit pas oublier ce fait social de masse ; il distille des valeurs qui sont celles nécessaires à la marche du système qui l’a enfanté. 

   Je me souviens  du mot sport omniprésent dans l’index de « Je me souviens » de Georges Perec. Trente-six formules sur 480 sont consacrées aux souvenirs sportifs. Mais je me souviens surtout de « W ou le souvenir d’enfance » dans lequel Perec évoque une cité régie par l’idéal olympique et où le culte du sport et de la compétition aboutit à l’écrasement de l’individu, à l’inhumanité  et à la barbarie.

   Je me souviens de George Orwell affirmant que le sport  « c'est la guerre sans les coups de feu», de Theodor W. Adorno pour qui «la compétition est au fond un principe opposé à une éducation humaine», de V. Jankélévitch, de W. Reich, de M. Foucault, de P. Virilio s’interrogeant sur le sport. Je me souviens d’un temps où la majorité des intellectuels ne courait pas derrière le peuple au lendemain d’une victoire française, mais cherchaient à l’élever.

   Je me souviens d’une amie sportive pleurant toutes les larmes de son corps sali au soir d’un entraînement dramatiquement inachevé et jamais oublié. Je me souviens de sa force incroyable, de son courage immense et de sa revanche définitive sur le mal incarné. Il est des victoires anonymes qui valent tellement plus que des succès tapageurs.